Incivilités, insultes, gestes déplacés des clients... Un caissier raconte son calvaire quotidien, et ça fait froid dans le dos

Robin, un étudiant à la Sorbonne âgé de 21 ans, travaille le week-end en tant que caissier dans un magasin Carrefour, situé en Seine-et-Marne, à Fontainebleau. Le jeune homme, lui-même régulièrement victime d'incivilités, est longtemps resté silencieux quant à son calvaire. Mais il y a une semaine, après une énième remarque, Robin a estimé que la coupe était pleine. Qu'il devait en parler. Rapidement.
Le jeune homme a donc tenu à s'exprimer publiquement, et c'est via Twitter que Robin a jugé bon de faire passer son message. Dans un long thread, retweeté près de 26 000 fois, Robin ne fait pas dans la langue de bois, et met en lumière l'envers du décor en évoquant toutes ces choses que nous, clients, ne perçevons pas. Bienvenue en enfer.
Le weekend je travaille à Carrefour à côté de mes études. Et ce weekend, c’était vraiment trop. Je me suis fait insulté dans tous les sens, sans raison. Les gens ont perdu la notion du respect en France. Jamais au Royaume-Uni ne m’a-t-on mal parlé à mon travail. Donc petit thread
— Robin V💁🏻♂️🌈 ロビン (@RobinVettier) 19 février 2018
Background information: je suis caissier de base mais je suis souvent à l’accueil, là où les gens viennent se faire rembourser, si vous avez une question, un problème ou quoi bah c’est moi le gars.
— Robin V💁🏻♂️🌈 ロビン (@RobinVettier) 19 février 2018
Je vais vous énumérer tout ce que j’ai pu avoir de déplacer pendant mon boulot, on va aller dans le sens chronologique décroissant. Ce weekend là c’était spectaculaire.
— Robin V💁🏻♂️🌈 ロビン (@RobinVettier) 19 février 2018
"Une vieille a décrété que les enfants n’étaient pas assez handicapés pour passer devant elle"
Robin tente d'énumérer chronologiquement toutes les choses frustrantes et vexantes qu'il a pu vivre pendant son expérience en tant que caissier. Et là, tenez-vous prêt, car ce que vous vous apprêtez à lire est surréaliste. Mr Oizo était dans le vrai depuis le début. On est des animaux.
Dimanche 18/02: y a du monde en caisse. Une dame vient me voir car elle a des enfants handicapés et aimerait passer en caisse prioritaire, les gens ne la laissent pas passer. Je l’accompagne, rappelle à tout le monde que c’est une caisse prio et qu’elle passera devant eux.
— Robin V💁🏻♂️🌈 ロビン (@RobinVettier) 19 février 2018
Je pars deux sec dans les rayons, je reviens devant cette caisse et ça se hurle dessus. Une vieille a décreté que les enfants n’etaient pas assez handicapés pour passer devant elle et que “elle aussi elle peut boiter et faire semblant pour faire chier les autres”
— Robin V💁🏻♂️🌈 ロビン (@RobinVettier) 19 février 2018
L’enfant de la dame avait le syndrome du cri du petit chat. C-a-d qu’il miaule au lieu de parler. J’ai dû expliquer à une dame adulte que non, en France, on laisse passer les handicapés devant et qu’on attendait derrière.
— Robin V💁🏻♂️🌈 ロビン (@RobinVettier) 19 février 2018
Donc, les personnes qui souffrent d'un handicap "font semblant pour faire chier les autres" et du coup, pour passer devant. Vous l'avez lu ici. Ce monde est merveilleux, n'est-ce pas ?
Vous pensez avoir tout vu ? Non, ça continue :
“Eh, tête de bite, pourquoi il y a du monde en caisse et pas de caissières ?"
Samedi 17/02: une dame sort par les portics avec une bouteille de vin sans ticket dans son sac. Elle avait volé. On a eu le droit à des hurlements, des pleures, pendant 20 minutes, des « Fuck you » (oué elle était étrangères), des « vous êtes racistes / mysogynes) etc...
— Robin V💁🏻♂️🌈 ロビン (@RobinVettier) 19 février 2018
Samedi 17/02:
— Robin V💁🏻♂️🌈 ロビン (@RobinVettier) 19 février 2018
Il y a du monde en caisse. Un monsieur m’interpelle : “Eh tête de bite pourquoi y a du monde en caisse et pas de caissières ? »
Samedi 17/02:
— Robin V💁🏻♂️🌈 ロビン (@RobinVettier) 19 février 2018
Une dame veut laisser son sac à l’accueil avant de faire ses courses. Y avait 3 personnes devant elle. Étant pressé elle me jette son sac à la figure en pretextant que je l’ignore et que de toute façon elle a un train à prendre.
Samedi 17/02:
— Robin V💁🏻♂️🌈 ロビン (@RobinVettier) 19 février 2018
Une dame n’a que 8€ pour payer ses courses. On fait donc passer ses produits frais en priorité car on ne peut pas les remettre en rayon. “vous faites ça parce que je suis arabe c’est ça ?”.
Une jeune femme derrière elle, caissière à Auchan apparemment, lui dit qu’elle a le droit d’aller se plaindre si elle veut parce que dans son magasin c’est pas comme ça. 0 solidarité
— Robin V💁🏻♂️🌈 ロビン (@RobinVettier) 19 février 2018
Samedi 17/02:
— Robin V💁🏻♂️🌈 ロビン (@RobinVettier) 19 février 2018
Un monsieur vient me voir en demandant la direction. Je lui dis que le directeur est parti, et que je pouvais peut-être l’aider. “Vous vous foutez de ma gueule?Où est le cahier des charges?”. Y en a pas. Mais vous pouvez envoyer un courrier.“Vous vous foutez de moi“
Non non, je peux vous donner le nom du directeur si vous vou... “Arrêtez de jouer au con. JE suis le client. J’AI le droit. Alors je fais comment moi si je veux me plaindre?Y a deux pompes à essence H-S.” Oui nous avons appelé des réparateurs ils viendront sous peu
— Robin V💁🏻♂️🌈 ロビン (@RobinVettier) 19 février 2018
“Mais vous vous prenez pour qui en fait? À part à jouer au con. Vous n’êtes qu’un analphabète un illettré, je savais que vous seriez inutile avec vos manières là *imitations homophobes*.“ J’appelle la sécurité. “Ah vous voulez me casser la gueule c’est ça?!”
— Robin V💁🏻♂️🌈 ロビン (@RobinVettier) 19 février 2018
La sécurité arrive, c’est juste au cas où. Ils continue ses remarques homophobes. J’ai perdu patience et lui ai dit que j’allais lui mettre ma main sur la figure si il continuait. Il a pris mon nom et ira surement faire une réclamation. Affaire à suivre
— Robin V💁🏻♂️🌈 ロビン (@RobinVettier) 19 février 2018
Samedi 17/02:
— Robin V💁🏻♂️🌈 ロビン (@RobinVettier) 19 février 2018
Une dame fait un scandale au personnel des rayons car les bouteilles de Coca n’ont plus d’images de lion dessus. Elle ceut voir le directeur sur le champ. *?????????????*
Tout ceci s'est passé en une seule et même journée. Remarques homophobes, accusations gratuites, agressions, tout y est. À croire que la clientèle ne réalise pas qu'en face d'elle, se trouvent des êtres humains. Et que devant leurs problèmes, ils n'y sont la plupart du temps pour rien. Mais ce n'est pas fini. Passons à la suite.
“Alors, l’esclavage, ça ne te manque pas trop? En vrai, être ici et obéir aux blancs, c’est pareil”
Samedi 10/02:
— Robin V💁🏻♂️🌈 ロビン (@RobinVettier) 19 février 2018
Un monsieur passe aux caisses automatiques avec sa poussette et son bébé. Des articles sont dans la pousette mais il ne les sort pas. En sortant on lui demande de les sortir juste pour vérifier. Il se met à hurler, on l’entendait à l’autre bout du magasin.
Il hurle, crie, nous menace, nous dit qu’on le harcèle. 15 minutes plus tard, trois chefs de rayons sont devant les portes pour l’empêcher de partir. Impossible de parler avec lui tellement il hurle. Il prend sa poussette (avec son bebe) et l’utilise comme bélier contre mes chefs
— Robin V💁🏻♂️🌈 ロビン (@RobinVettier) 19 février 2018
Son bébé reste stoique pour le coup. 10 minutes plus tard il lache la pousette prend ses sacs de courses et part en nous laissant son fils. On a dû le rattraper pour qu’il reprenne son gosse. Tout ça pour qu’au final les articles vienne d’un autre magasin.
— Robin V💁🏻♂️🌈 ロビン (@RobinVettier) 19 février 2018
Dimanche 11/02:
— Robin V💁🏻♂️🌈 ロビン (@RobinVettier) 19 février 2018
Une dame m’appelle par téléphone et exige de parler au directeur pour savoir pourquoi les chansons qui passent dans le magasin sont en anglais et non en français. Elle nous ordonne de changer ça de suite.
Samedi 10/02:
— Robin V💁🏻♂️🌈 ロビン (@RobinVettier) 19 février 2018
Des gens font la queue en caisse. Deux darons commencent à se mettre sur la gueule car l’un était là avant l’autre. J’ai dû les séparer, moi 1m75 56kg.
Samedi 10/02:
— Robin V💁🏻♂️🌈 ロビン (@RobinVettier) 19 février 2018
Une caissière a fini sa journée. Elle dit aux clients qu’après le dernier monsieur, elle est fermée. Trois personnes ne veulent rien entendre et s’installent quand même. Ils ne veulent pas bouger, qu’ils porteront plainte si on les met à une caisse. Effarant
Dimanche 04/02
— Robin V💁🏻♂️🌈 ロビン (@RobinVettier) 19 février 2018
Une dame fait la queue en caisse prioritaire avec son bébé. 3 clients passent devant elle car ils sont handicapés.Pris d’impatience elle prend ses boites de conserve et les lance dans la gueule de la caissière pretextant qu’elle a trop attendu.
Samedi 17/02: (oui c’est plus dans l’ordre j’en oublie):
— Robin V💁🏻♂️🌈 ロビン (@RobinVettier) 19 février 2018
Une dame m’appelle au téléphone pour me dire qu’ine caissière a embrouillé son mari pour lui prendre plus d’argent sur son ticket resto et qu’elle exige qu’on lui redonne son ticket
Dimanche 31/01:
— Robin V💁🏻♂️🌈 ロビン (@RobinVettier) 19 février 2018
Une vieille dame tape le comptoir de l’accueil à coups de poings parce qu’elle attend depuis trop longtemps pour avoir sa flasque de Kirsh.
Mercredi 01/11:
— Robin V💁🏻♂️🌈 ロビン (@RobinVettier) 19 février 2018
Jour férié. Peu de caissières, beaucoup de clients. Une dame part sans payer ses articles (un enorme chariot) car elle a attendu 30 minutes. Nous avons dû lui dire que nous appèlerons la police si elle franchissait la porte.
Date oubliée:
— Robin V💁🏻♂️🌈 ロビン (@RobinVettier) 19 février 2018
Une cliente à une caisse hurle sur la caissière car le tapis roulant roule. Elle veut qu’il s’arrête sinon elle ne posera pas ses articles.
Date oubliée, vacances d’été je crois:
— Robin V💁🏻♂️🌈 ロビン (@RobinVettier) 19 février 2018
Une dame rentre dans le magasin se dirige vers le rayons des sodas, baisse son pantalon et défèque sur le sol.
⚠️ J’ai oublié de dire que je bosse dans une ville avec des gens assez riches et huppés ⚠️
— Robin V💁🏻♂️🌈 ロビン (@RobinVettier) 19 février 2018
Date oubliée:un homme vole 5 jeux de FIFA17. On l’arrête. Pendant qu’on attend la police il parle aux agents de securité (renois): “alors l’esclavage, ça ne te manque pas trop? En vrai être ici obéir aux blanc c’est pareil” L’agent de sécurité sourit, ne rétorque pas. Propre.
— Robin V💁🏻♂️🌈 ロビン (@RobinVettier) 19 février 2018
Été 2015:
— Robin V💁🏻♂️🌈 ロビン (@RobinVettier) 19 février 2018
Un couple passe en caisse d’une caissière. Une promo ne passe pas sur ses pizzas. “T’essaie de m’arnaquer c’est ça? Salope va. Je vais te défoncer fait la reduc direct ou je te ken là sur place”. On a appris depuis que le mec est allé en prison et serait mort.
“Travaille bien à l’école, sinon, tu vas finir comme le monsieur !”
On pensait en avoir terminé avant de trouver d'autres témoignages, rapportés par nos confrères de 20 Minutes, qui avaient alors lancé un appel sur leur page Facebook... et qui nous font réaliser que les récits de Robin sont loin d'être des cas isolés, finalement.
Pandatoine, un internaute, confie à son tour sa souffrance face aux propos blessants qu'il peut entendus à longueur de journée :
"S’il y a bien un métier difficile et dévalorisé c’est celui-ci. Combien de fois ai-je entendu la mère dire à son gosse “travaille bien à l’école sinon tu vas finir comme le monsieur”. Sauf que le monsieur a des oreilles et que ces propos sont blessants."
Par ailleurs, Jean-Marc Robin, délégué syndical chez Carrefour Market, interrogé par le quotidien, confirme que ces situations sont fréquentes pour les caissiers. Selon ses propos, toujours rapportés par 20 Minutes, l'entreprise aurait déjà mis en place une formation aux professionnels pour gérer ces conflits et apprendre à ne pas répondre aux provocations et autres agressions. Un exercice qui selon nous, demande un effort phénoménal sur soi-même. En effet, comme réagir lorsque quelqu'un nous insulte gratuitement ? Comment garder son sang-froid quand on doit encaisser une remarque raciste, sexiste, homophobe ?
Aussi, la mise en place de panneaux, rappelant aux clients de rester courtois, n'a pas marché. Et dans les pires situations, la hierarchie ne prend pas non plus parti du salarié malheureux.
"Les caissiers ne se plaignent plus. Ils ont peur d’être sanctionnés"
Robert Bellamy, délégué syndical de la CGT au Carrefour d'Épinal, en Lorraine, raconte à sont tour à 20 Minutes un récit glaçant :
« Il y a cinq ans, un salarié a reçu une claque. Le chef ne l’a pas défendu. Le client est roi, et c’est devenu tellement normal que les caissiers ne se plaignent plus. Ils ont peur d’être sanctionnés »
Et si avec le temps, l'excuse du "client roi" n'était finalement plus une justificration à toutes les dérives ? Et si, au lieu de nous énerver, nous tentions de nous mettre davantage à la place de celle ou de celui qui nous rend service ? Et si nous étions enfin respectueux envers notre prochain, pour changer ? La notion de respect est-elle de plus en plus floue en France ?
Pour Robin, en tout cas, le problème est typiquement Français. Cet ancien étudiant en Erasmus (programme d'échange d'étudiants et d'enseignants entre les universités et les grandes écoles européenes) précise en effet qu'il n'avait jamais vu de tels débordements à l'étranger en six mois de travail. De quoi nous faire réfléchir sur notre comportement, une fois de plus.
Chez nous, à la rédac, nous avons également reçu des VDM effarantes, ces dernières années. De quoi se taper la tête contre les murs ! Florilège :
Pas en grande surface, mais j'ai déjà eu affaire plusieurs fois à des clients... pénibles...
Une fois, j'étais à la vente de sandwich dans le resto d'autoroute où je bosse. Un type me demande un jambon beurre sans beurre. Je lui explique que je ne peux pas, d'une part par ordre de mes supérieurs, et d'autre part, que les sandwichs en question étant fabriqués dans une autre pièce et étant seule en poste à ce moment là, impossible de quitter mon poste pour lui faire.
Il m'a incendiée, et m'a sorti "vous allez voir, si c'est votre directeur qui vous le demande, vous allez me le faire ce sandwich et que ça saute!" Bon, manifestement, il ne connait vraiment pas mon directeur, mais passons...
Je lui dis que, en effet, si un de mes supérieurs me le dit, je le ferai mais pas avant. Je lui indique aussi que, bien que le directeur soit absent, il y a la sous directrice et une manager à portée de voix et que je peux les appeler l'une ou l'autre. Une collègue -qui s'occupe de la station service- a volé à mon secours en faisant un appel micro pour que la manager vienne. Bizarrement, le type est parti en bougonnant mais n'a plus parlé de son jambon beurre.
Un autre m'a pris la tête car je ne pouvais pas lui vendre de l'alcool s'il ne prenait pas un repas.... Il a tellement exigé de la bière que j'ai fini par lui en vendre de la sans alcool (sans lui préciser). Son regard moqueur en partant m'a fait sourire... Non mon gars, tu n'as pas gagné et tu t'en rendras vite compte...
Il y a aussi les malpolis qui ne connaissent pas bonjour, s'il vous plait, merci ou au revoir, les dégueux qui laissent traîner leurs déchets (j'ai déjà eu, par une même cliente, le sachet du thé, le papier du muffin, la touillette et le sachet de sucre éventré bien éparpillés sur le bar, alors qu'il y avait à 10 cm un petit récipient prévu pour mettre tout ça), ceux qui te sifflent pour que tu ramasses leur plateau, etc